Par Pierre Rabhi (2008)

L’humain moderne est de moins en moins en contact avec les forces de la vie mais il demeure totalement dépendant de la terre qui le nourrit pour survivre. Que deviendrons-nous sans cette terre nourricière que nous saccageons tous les jours ? Je pense qu’il nous faut en prendre conscience, ne plus considérer la nature comme une matière marchandisable et exploitable (…).

Je ne m’inquiète pas pour la nature. Elle possède une force de vie extraordinaire et il me semble aberrant de prétendre que l’on puisse détruire la vie sur terre. La nature a démontré qu’elle est capable de rebondir. Elle mettra peut-être le temps pour panser les meurtrissures que nous lui aurons infligées, mais la vie se reconstituera. J’en suis convaincu. En revanche, de transgression en transgression, l’espèce humaine peut contribuer à sa propre éradication. Face à ce constat, j’aimerais voir l’avènement d’un sursaut de la conscience collective. L’humanité se mobiliserait alors à sauver sa vie en se connectant aux forces constructives, aux énergies vitales qui sont l’apanage de la nature.

Nous ne pouvons continuer à tous profaner. Si l’on est convaincu que Dieu est l’auteur de la création, comment alors profaner la création divine sans profaner Dieu lui-même ? Nous sommes alors à l’opposé du sacré. Ce sacré qui devrait nous inspirer l’intelligence universelle, qui est subtile et n’a rien à voir avec nos aptitudes ordinaires. Car il y a confusion entre aptitude et intelligence. Nous avons beaucoup d’aptitudes, mais le résultat obtenu sur notre mode d’organisation et de compréhension de la vie donne une histoire totalement aberrante. A mon sens, nous ne sommes pas la source de l’intelligence, mais ses révélateurs. Elle existe dans l’ordre universel, biologique, physique. Cette intelligence permet de s’enchanter tout le temps. Pensez aux graines qui poussent, à cette force de germination. Comment expliquer cela ? Il y a une intelligence remarquable, extraordinaire. Seule l’humilité et la simplicité donnent accès à cette intelligence.

Aujourd’hui, personne n’a de garantie sur l’avenir. Notre modèle montre ses limites, la course à la croissance indéfinie se révèle impossible. Nous constatons que l’argent peut assouvir tous nos désirs, excepté la joie qui ne s’achète pas. Nous sommes aujourd’hui plus que jamais appelés à construire un monde généreux, à retrouver l’enthousiasme, c’est-à-dire le divin en soi. Il s’agit d’une utopie, mais une utopie n’est pas une chimère, c’est le « non lieu » de tous les possibles. Un nouvel espace de créativité s’offre à toutes les consciences éveillées. Entre un monde qui décline et un autre à construire se trouve une transition qu’il ne faut pas gâcher par notre inertie. Il s’agit d’un véritable changement de paradigme qui place l’être humain et la nature au cœur de nos préoccupations et toutes nos compétences et moyens à leur service. L’ère de la sobriété, de la simplicité heureuse a sonné. Tout changement implique le changement de soi car si l’être humain ne change pas lui-même, il ne pourra changer durablement le monde dont il est le responsable.

Texte Pierre Rabhi. Photo © Roxane Petitier/ HUMAIN.E

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